LEN : Autocensure et d�lation

Apr�s l'adoption par le S�nat du texte de loi sur la confiance dans l'�conomie num�rique, plusieurs associations militantes en faveur du respect de la vie priv�e et de la libert� d'expression s'inqui�tent.

A l'origine, le texte devait essentiellement permettre aux �changes commerciaux de se d�velopper sur Internet. Puis les maisons de disques, fortes d'un savoir-faire �prouv� en mati�re de lobbying, sont pass�es par l� (cf notre article du 9/04). Sch�matiquement, leurs exigences sont �l�mentaires : lutter efficacement contre la diss�mination de contenus illicites et surtout, s'arroger le droit de demander la fermeture rapide de sites diffusant un tel contenu. Il s'agissait donc pour elles de contourner les traditionnelles "lenteurs de la justice" qui auraient permis � un contrefacteur de poursuivre ses activit�s durant des mois au pr�judice d'un label ou d'un artiste. La LEN adopt�e par le S�nat mi-avril a quelque peu frein� les ardeurs des tenants du tout repr�ssif, notamment en mati�re de respect de la vie priv�e, la haute assembl�e consid�rant que l'email b�n�ficiait de la m�me confidentialit� que la correspondance �crite.

Cependant subsistent dans le texte des m�canismes d'autocensures et - plus inqui�tants - de d�lation - qui sont aujourd'hui d�nonc�s par des organisations comme Reporters sans fronti�res, Odebi et le Syndicat de la magistrature. Selon elles, la notion de contenu illicite serait suffisamment floue pour nuire - gravement - � la libert� d'expression. Th�oriquement, l'incitation � la haine raciale et la p�dophilie constituent les seules limites � la libert� d'expression garantie constitutionnellement. Or avec la LEN, en cas de constatation d'une infraction, un simple courrier �manant d'un internaute pourrait constituer un motif suffisant pour d�cider un h�bergeur � fermer un site. A charge ensuite au webmaster censur� de saisir la justice et de faire la preuve de sa l�galit�. La charge de la preuve est donc renvers�e, et une justice priv�e se substitue ainsi � la voie classique. Pour Pascal Cohet, le pr�sident de la ligue Odebi, c'est une loi "liberticide" . "En engageant la responsabilit� des interm�diaires techniques, la loi les change en juges-censeurs" d�clare-t-il. Ainsi la LEN soustrait les internautes au verdict d'un juge ind�pendant et impartial en faveur des fournisseurs d'acc�s. De quoi inqui�ter les tenants de la libert� d'expression, au point de les pousser � �crire au ministre des Finances, Nicolas Sarkozy . La ligue Odebi a par ailleurs appel� � boycotter les produits des majors de l'industrie musicale.

Pour Julien Pain, responsable des cyberlibert�s � Reporters sans fronti�re, la LEN n'a pas �cart� la solution du filtrage. Si elle n'oblige plus les fournisseurs d'acc�s � filtrer tous leurs sites, elle institue tout de m�me la possibilit� pour le juge d'interdire l'acc�s � un site au contenu ill�gal publi� � l'�tranger. "Techniquement, un ordre de filtrage sur un site touche des centaines de sites" s'indigne-t-il, "Quand on censure un site, il est impossible d'�tre s�lectif. C'est � dire qu'on censure des sites qui ne sont pas ill�gaux" .

D'autre part, le droit de la propri�t� intellectuelle emp�cherait les webmestres de citer des marques dans leurs �crits publics et porterait donc atteinte � toute action militante. Les appels � rassemblement ou � manifester constitueraient des troubles � l'ordre public. Tout comme la publication d'opinions critiques vis � vis de la politique �nerg�tique fran�aise ou des licenciements sp�culatifs. Une analyse certes radicale, mais qui conduirait � ne plus voir sur le Net que les articles de la presse conventionnelle copi�s-coll�s sans modifications sur des sites m�dia. De quoi faire hurler les internautes ayant imagin� utiliser le r�seau � des fins d'expression d'opinions. Les h�bergeurs eux- m�mes, sp�cialistes en mati�re de technique mais pas d'�ditorial, pourraient bien leur donner raison. S'estimant d�pass�s par un r�le de censeur auquel au fond ils n'aspirent pas et qui leur conf�re un surcro�t de travail, ces derniers ont d'abord menac� de supprimer l'ensemble des sites personnels afin de couper court � tout risque d'abus. Cette menace a pu peser face aux demandes des repr�sentants de l'industrie culturelle.

Baser la surveillance du Net sur l'autocensure et la d�lation semble satisfaire les industriels du disque et du cin�ma. Elle leur permet une voie d'intervention rapide en cas de violation de leurs int�r�ts (cf la vid�o). Cependant, la LEN pr�voit �galement une possibilit� de recours contre d'�ventuelles fermetures abusives. Des dispositions inutiles, selon Odebi, puisque la directive europ�enne actuellement en cours serait largement suffisante pour encadrer une libert� d'expression dont par ailleurs ces associations ne contestent pas l'utilit�. Entre oiseaux de Cassandre et tenants d'une justice priv�e exp�ditive b�n�fique � la d�fense de la conduite de leurs affaires, Bruxelles aura son mot � dire et Paris devra harmoniser sa l�gislation � celle de l'Europe.

Erratum : Didier Wang de Retspan pr�cise que son association "n'envisage" pas de cr�er de faux sites pirates destin�s � pi�ger les internautes �changeant des fichiers musicaux. L'expert tenait d'avantage � pr�senter une simple possibilit� technique autoris�e par la technologie informatique actuelle.

Philippe Blanchard Yamina Jalili �Digipresse 2004